¢ PRÉSENTATION DU BUREAU GREISCH
Le bureau Greisch est un bureau d'études belge indépendant, il compte une centaine de collaborateurs – ingénieurs, architectes et techniciens dessinateurs.
Les capacités du bureau Greisch dans le domaine des ponts à haubans et des ouvrages métalliques ont à plusieurs reprises interpellé l'OTUA, Office technique de promotion pour l'utilisation de l'acier. En effet, ces dernières années, le bureau liégeois a souvent collaboré avec des entreprises belges et françaises pour la construction d'ouvrages d'art prestigieux.
¢ L'ÉTUDE DE FAISABILITÉ
C'est sur la base de cette expérience que, fin 1999, soit quelques mois avant la consultation, l'OTUA a interrogé le bureau Greisch sur la faisabilité du viaduc de Millau.
D'emblée, les grandes entreprises françaises de construction métallique se sont associées à l'OTUA pour participer à cette étude.
Le bureau Greisch a développé et présenté la méthode de construction qui allait rendre cette solution concurrentielle par rapport à la solution technique d'un tablier en béton qui, à l'époque, remportait tous les suffrages. Parallèlement, un comité d'accompagnement constitué des constructeurs, se chargeait de vérifier l'adéquation des études réalisées aux moyens à mettre en oeuvre.
Le lançage d'un tablier est une méthode de construction bien connue des entreprises. En l'adaptant au viaduc de Millau, le bureau Greisch a eu l'audace de pousser cette technique dans ses derniers retranchements.
Au cours du séminaire "Grands ponts métalliques en sites montagneux", en 2000, l'OTUA et le directeur du bureau Greisch, présentaient, devant une assemblée qui réunissait les plus grands entrepreneurs, les résultats de l'étude de faisabilité : le tablier serait lancé en arrière des culées, muni de deux de ses pylônes comme mâts de haubanage des porte-à-faux, le clavage serait réalisé au-dessus du Tarn entre P2 et P3 et les cinq pylônes restant, seraient amenés sur le tablier après lançage et redressés l'un après l'autre avant mise en place des haubans.
A ce stade, les grands choix techniques étaient posés ne furent plus remis en cause par la suite. Face à l'ambition de la proposition, seule Eiffel Construction Métallique s'est montrée prête à relever le défi et à présenter une offre basée sur cet-te méthode.
¢ LA CONSULTATION DES ENTREPRISES LE CONCOURS
La consultation pour la construction et la concession du viaduc a été lancée par l'Etat au printemps 2000. Les six mois de délai accordés aux entreprises pour préparer leurs offres devaient permettre de préciser les choix techniques, d'optimiser le temps d'exécution et de réaliser les choix financiers.
Ce concours représentait la concrétisation de l'étude de faisabilité. Sans sortir du cadre imposé par le marché, les études réalisées apportaient des optimisations et adaptations importantes par rapport au projet initial :
pour optimiser l'assemblage du tablier à partir de panneaux préfabriqués en usine, les diaphragmes transversaux seraient remplacés par des cadres triangulés (figure 1);
¢ LES ÉTUDES D'EXÉCUTION
Dès le premier semestre 2001, le groupe Eiffage a été présenté comme lauréat de l'offre, et sans attendre la signature du marché, il a pris le risque de demander au bureau Greisch de démarrer les études d'exécution.
Celles-ci ont duré plus de trois années au cours desquelles 15 ingénieurs et 20 dessinateurs ont travaillé 80000 heures pour respecter les délais impartis et permettre aux entreprises d'avancer dans la fabrication en atelier et sur le chantier.
Parmi ces études, il faut distinguer :
La première tâche du bureau Greisch a été de prendre en charge le modèle global et le calcul des sollicitations générales pour l'ensemble du viaduc : fondations, piles, appareils d'appui, tablier, pylônes et haubans (figure 6).
La mise au point du modèle de calcul a nécessité une étude de sensibilité de l'ouvrage vis-à-vis des fondations.
Les descentes de charges et les sollicitations dans les piles et fondations étaient transmises aux bureaux d'études chargés des calculs organiques du lot béton, c'est-à-dire les culées, les piles et les fondations.
Le tablier étant situé à 270 m au-dessus du Tarn, le vent est une sollicitation majeure. Chargé des études d'exécution, le bureau Greisch se devait de posséder l'outil de calcul au vent turbulent sur base d'une analyse spectrale. Son équipe de Recherche et Développement a alors implémenté, dans un logiciel de simulation, l'algorithme de calcul nécessaire à ce type d'études.
Lors de l’étude, seuls les vents transversaux avaient été considérés; d'aucuns pensaient que les vents à 45° étaient moins agressifs pour la structure. Par contre, dès le début des études d'exploitation, le bureau Greisch a mis en évidence et démontré que les effets de ces vents à 45° étaient prépondérants, entre autres, pour les effets de portance.
La fissuration des piles a fait l'objet d'une attention toute particulière. En effet, il s'agissait d'un facteur important pour assurer la durabilité de la structure sur une période de 120 ans.
Sur base de simulations numériques prenant en compte la fissuration du béton, le bureau d'études Greisch a ainsi entrepris l'étude du comportement des piles P1 et P7, étude qui lui a montré l'utilité d'une précontrainte sur toute la hauteur des fûts dédoublés des piles ; cette précontrainte était recommandée dans le but de garantir une meilleure durabilité.
Le choix de la précontrainte ayant été fait, les bureaux d'études d'Eiffage TP, EEG et Géonuméric, ont alors entrepris le calcul organique des piles tout en vérifiant la stabilité d'ensemble de l'ouvrage.
Les calculs du tablier pendant sa période de lançage ont fait l'objet d'un maximum d'attention. Plus qu'une validation, un nouveau dimensionnement a été établi lors des calculs des lançages qui ont probablement constitué à eux seuls plus de 80 % du temps de travail consacré par les ingénieurs du bureau d'études Greisch lors des études d'exécution. Il a été considéré que le tablier pouvait se trouver dans trois situations lors de sa mise en oeuvre (figure 8 et photo 1).
Configurations d'assemblage
Pour chaque situation d'assemblage, le pylône se trouve à l'aplomb d'une pile ou d'une palée. Chacune de ces situations a fait l'objet d'une modélisation et d'un calcul des sollicitations, essentiellement sous les effets du vent.
Configurations de lançage
L'analyse du comportement du tablier a été réalisée à l’aide d’un logiciel, sur la base d'un modèle évolutif. Celui-ci faisait se déplacer le tablier sur ses appuis par pas de 5 m; environ 600 étapes de calculs ont été nécessaires. Le modèle prenait en compte :
Configurations d'arrêt accidentel
Pour chaque lançage, toute situation accidentelle devait être imaginée et vérifiée. La structure devait être capable de reprendre des vents de 185 km/h sans aucun renfort local. Cette hypothèse a amené le bureau d'études Greisch à entreprendre le calcul au vent de plusieurs dizaines de positions du tablier (figure 9).
Une démarche originale a été développée sur la base de simulations numériques dans le cadre du viaduc de Millau (figure 10).
La liaison entre le tablier, le pylône et les piles a fait également l'objet de toutes les attentions. La solution développée permet aux sollicitations du tablier et du pylône de transiter vers des cadres transversaux au caisson.
Ces cadres transversaux transmettent alors leurs charges sur les appareils d'appui.
Après dimensionnement, l'ensemble a fait l'objet d'une vérification au moyen d'un calcul par éléments finis de type .
Le but du modèle était de justifier les épaisseurs de tôles adoptées, de vérifier leur instabilité éventuelle et de dimensionner les cordons de soudure (figure 11).
Les palées provisoires
L'originalité et la performance résident essentiellement dans la méthode de construction. La méthode de montage par télescopage a demandé au bureau Greisch d'imaginer et de dimensionner des assemblages dont l'encombrement était réduit au minimum.
Les balancelles et les chevêtres
Pour permettre le lançage d'un caisson de 4,20 m de hauteur avec une entre distance de 171 m entre appuis, le bureau Greisch a imaginé et dimensionné des chevêtres au droit de chaque pile et/ou palée pour dédoubler longitudinalement les appuis de lançage ; et a conçu la notion de balancelle pour assurer l'égalité des réactions verticales sur ces appuis dédoublés.
Les translateurs
Lors d'un lançage, l'effort moteur est habituellement appliqué aux culées. Les appuis définitifs (les piles) et les appuis provisoires (les palées) doivent reprendre en tête les efforts de frottement qui sont d'autant plus préjudiciables que la hauteur des appuis est importante.
Pour éviter en tête des piles et palées des efforts de frottement importants lors du lançage, il a été conçu, en tête de chaque support, un dispositif pour contrebalancer localement cet effort de frottement. Ce dispositif a été appelé translateur.
Lors du concours, Eiffel avait imaginé des translateurs qui fonctionnaient sur la base d'une crémaillère et étaient commandés manuellement au droit de chaque appui.
Pour limiter les effets de synchronisation des translateurs, les piles et palées auraient dû être reliées en tête par des câbles de forte section. Dès le début des études d'exécution, le bureau Greisch a imaginé, conçu et dessiné un nouveau système de translateurs qui, cette fois, fonctionnaient au moyen d'un jeu de cales qui étaient mises en mouvement au moyen de vérins hydrauliques. De son côté, Eiffel développa un automate pour commander simultanément et électroniquement l'ensemble des translateurs.
Ainsi, les câbles de retenue en tête des piles et palées pouvaient être supprimés (photo 2).
L'assistance sur chantier
A la demande de l'entreprise Eiffel, le bureau Greisch a également assuré sur le chantier une assistance pour l'ensemble des opérations délicates :
èles 18 lançages;
èle clavage à la verticale du Tarn;
èla mise sur appuis définitifs du tablier;
èle transport et le relevage des pylônes;
èla mise en place et le réglage des haubans;
èla pose du revêtement;
èles épreuves de chargement et l'essai dynamique.
Les dix-huit lançages
Chaque lançage ne pouvait démarrer que si les prévisions météorologiques garantissaient des vents inférieurs à 72 km/h pendant 3 jours ; cette accalmie était qualifiée de couverture météo.
Une semaine avant le début d'une opération, les prévisions météorologiques commençaient à être analysées par le bureau Greisch sur base de données fournies par Météo France et confrontées à celles obtenues sur Internet où l'on trouvait des prévisions sur 180 heures.
Avant le lançage, l'analyse de ces prévisions était faite une fois par jour; pendant les opérations, c'était 2 à 3 fois par jour.
Lors de chaque lançage, le bureau Greisch assurait une présence permanente sur chantier. Quatre ou cinq ingénieurs étaient sur place pour assister la direction de chantier et contrôler en permanence le comportement du viaduc.
Parallèlement à cette présence sur le site, une équipe d'ingénieurs, dans ses bureaux à Liège était prête à assurer tout calcul jugé utile ou nécessaire pour une prise de décision sur le terrain. En une demi-heure, les ingénieurs étaient opérationnels pour réaliser tout type de calcul complémentaire. Cette veille technique a été activée à trois ou quatre reprises.
Transport et relevage des pylônes
Alors que le clavage était toujours en cours de réalisation, les opérations de post-clavage démarraient avec l'assemblage des cinq derniers pylônes, leur transport sur le tablier sur des kamags (poids transporté de 850 tonnes) et leur relevage.
Le transport des pylônes sur le tablier a dû faire l'objet d'études spécifiques et d'une vérification systématique de chaque section du tablier. Les sections au droit des palées provisoires ont ainsi été renforcées (photo 3).
Mise sur appuis définitifs du tablier
Lorsque le tablier se raccourcit et s'allonge sous les effets de variations thermiques, il entraîne avec lui les sept piles. A la température de référence, toutes les piles doivent être verticales.
Le transfert de charges des appuis de lançage vers les appuis définitifs, est une opération qui a pris plusieurs semaines, pendant laquelle le tablier était sans cesse soumis aux variations de longueur sui-te aux variations de température et à la mise en place des haubans. Il s'agissait de mettre au point une procédure qui permettrait d'amener chacune des piles à l'aplomb de leurs pylônes respectifs, tout en vérifiant que les efforts de recentrage respectaient la résistance des piles.
Mise en place des haubans et de leur réglage
Les haubans ont pour but de suspendre le tablier aux pylônes. Leur réglage permet d'obtenir la géométrie désirée. Le challenge était triple tant pour Freyssinet, en charge de l'opération, que pour le bureau d'études :
Les haubans ont finalement été mis en tension sur la base d'un réglage en longueur, en application d'une procédure déjà appliquée par le bureau Greisch pour une demi-douzaine de ponts haubanés. Grâce à cette technique et aux échanges permanents entre le chantier et le bureau d'études, le réglage définitif a permis d'obtenir, en un temps record, un profil géométrique qui ne s'écarte pas de plus de 3 cm.
L'essai dynamique
Le CSTB était chargé de mesurer les fréquences des premiers modes propres ainsi que leur forme et leur amortissement. Le tablier fut soumis à un effet de choc équivalent à 100 t. Ces mesures ont permis d'identifier expérimentalement 25 modes. La différence entre les fréquences calculées et mesurées est de l'ordre de 2 à 4 % et la forme des déformées modales est remarquablement prédite par le calcul. Enfin le taux d'amortissement mesuré est de l'ordre de 0,4 % pour une valeur de 0,3 % adoptée pour les calculs au vent turbulent.
Le bilan de ces essais dynamiques combinés aux essais statiques met clairement en évidence que le comportement du viaduc de Millau est parfaitement conforme aux études d'exécution.
LES PRINCIPALES QUANTITÉS
80000 heures de travail sur 3,5 années
300 notes de calcul
2000 plans
15 ingénieurs et 20 dessinateurs en pointe